Échos de la Dalle

Les Échos de la Dalle, de avril 2016 à aujourd’hui

Les « Échos de la Dalle » c’est un projet de Chahut, c’est une équipe, c’est un espace régulier pour se rencontrer, occuper la Dalle Kennedy, jouer, construire, débattre, c’est une expérience à petite et grande échelle. C’est un ensemble de personnes, de lieux, d’organisations, d’objets et de visions. Les Échos de la Dalle c’est tout ça à la fois et c’est beaucoup de nous.

Originellement, il y avait les Journées de la Dalle des collectifs Semaine de l’Environnement : une occupation conviviale de la Dalle Kennedy, un mercredi au début du printemps, pour parler d’écologie au sens très large, écologie sociale et politique. Puis il y a eu la création de l’association Chahut qui, à peine née, avait déjà le souvenir de ces après-midi riches d’échanges et de rencontres, sur cette Dalle qui interpelle par son aspect, sa diversité sociale et ses politiques sous-jacentes. Le « projet » des « Échos de la Dalle » naissaient à son tour, prenant forme au printemps 2016. Depuis lors, ce sont 22 samedi (4 au printemps 2016, 6 à l’automne 2016, 6 au printemps 2017 et 6 à l’automne 2017) qui furent l’occasion d’occupations variées de la Dalle Kennedy.

2 ans de continuité

Pendant ces deux années (ou ces quatre saisons, discontinues), la recherche de régularité, de continuité paradoxalement a été constitutive du squelette des « Échos de la Dalle ». Un samedi sur deux pour bousculer des habitudes en en créant d’autres, c’était le pari que faisait les « Échos de la Dalle » par rapport aux Journées de la Dalle. Le fonctionnement du comité organisationnel s’est calqué petit à petit sur cette régularité. Parti d’un groupe de personnes allant de 10 à 15 pour arriver à un groupe quasi fixe de 8 personnes, l’organisation des « Échos de la Dalle » s’est décalé progressivement d’un fonctionnement par « espace » vers un fonctionnement par « équipe ». Ce décalage a permis de se fabriquer une mémoire et d’avancer collectivement au gré des questionnements, problématiques et expériences. Ce fonctionnement par équipe fut à un moment donné, un choix « logique » de prudence, c’était l’assurance la plus élevée que des erreurs ne soit pas reproduites en fautes par une équipe succédant à une autre. Cette « prudence » a eu du sens pour nous (personnes blanches, ayant eu pour la plupart aux études supérieures…) notamment vis-à-vis de nos questionnements concernant notre légitimité et la nature de notre impact dans ce quartier à grande diversité sociale et ethnique.

2 ans de variations

Mais les « Échos de la Dalle » se fut aussi deux ans à tenter des approches, des activités, des liens différents. On citera de façon lapidaire « l’ameublement » de l’espace public allant des canapés et du porteur de parole aux camions, tipi et caravanes ; la zone de gratuité ; les espace de construction ou de réparations ; les propositions d’activités créatives (musique, dessin, peinture) ; les espaces de lecture ou de débats ; les propositions de type « spectacle » ou « conférence » ; les immersions dans d’autres espaces que la rue (réunion à l’école avec Famille en Mouvement, au collège pour l’Assemblée de quartier) ; la venue d’une radio ou la prise de son ; des temps exceptionnels de réflexion ou d’auto-formation des membres de l’équipe…

Et après 2 ans, nous arrivons à un moment charnière des « Échos de la Dalle ». En cause, un essoufflement de l’équipe actuelle et un besoin de réinterroger en profondeur les objectifs des « Échos de la Dalle » et leurs mises en œuvre. Ainsi, sans parler nécessairement des après,nous souhaitons marquer une pause, un point d’étape et regarder avec curiosité le chemin parcouru par les un.e.s et les autres et par le collectif. Le moment, peut-être, de réinterroger les racines, diverses, de nos engagements dans les « Échos de la Dalle ». C’est l’occasion également de repenser ce qui nous (l’équipe des « Échos ») relie à l’ensemble de Chahut, ainsi qu’aux différentes personnes et organisations rencontrées pendant ces deux années. Parmi ces organisations/personnes nous pensons notamment à l’association Culture Manuelle et Technique, au Magasin Gratuit et aux personnes voulant essaimer cette démarche, aux habitant.e.s soucieuses-x de vivre ensemble s’organisant parfois en groupe ou commissions et aux structures alliées telle que le Centre Social ou la DQNO.

Concrètement, nous vous tiendrons informés des évolutions du projet, mais il est probable que l’équipe des « Échos de la Dalle » se remette en route à plusieurs vitesse et dans plusieurs directions : réfléchir à l’implantation d’une zone de gratuité à Villejean, soutien de Culture Manuelle et Technique et proposition de temps d’auto-construction dans l’espace public, soutien d’autres initiatives d’habitant.e.s et pourquoi pas mises en résonance de ces initiatives.

Rétrospective (plus détaillé, plus réflexive) des Échos de la Dalle

Si vous voulez en savoir plus sur la genèse du projet et sur son fonctionnement, nous vous invitons à lire les paragraphes qui suivent. Ils sont le fruit de la réflexion de deux membres de l’association seulement, mais ils ouvrent certaines portes de réflexion et répondent, sans trancher, à certaines critiques que l’on peut faire aux Échos de la Dalle.

Dans les critiques / questionnements qui traversent en permanence le projet des Échos de la Dalle, on retrouve notamment le choix de la Dalle Kennedy comme “terrain” de ce projet et la légitimité de l’association à y intervenir, l’association et ses membres n’étant pas installés à Villejean. Les paragraphes qui suivent retracent en partie le cheminement interne de l’association sur ces questions, il est développé ici par soucis de transparence envers les habitantEs et touTEs les potentiel.le.s futurEs co-organisateurs-ices. Les termes employés sont néanmoins à comprendre en lien avec le cadre et la culture (politique) de l’association Chahut.

Contexte

L’idée des Échos de la Dalle est intimement liée à la naissance de Chahut. En effet, l’association c’est créée à la suite de l’organisation d’une Semaine de l’environnement (SDE) durant laquelle s’était déroulée une Journée de la Dalle : une journée entière où les militant.e.s de la SDE allièrent porteur de parole, cuisine et jeux pour les enfants, en plein milieu de la dalle Kennedy à Villejean. Le choix du lieu n’était pas anodin : certes la SDE voulait décentraliser ses activités et « rayonner » un peu partout dans la ville, mais souhaitait également s’inscrire dans une démarche de réappropriation de l’espace public par les habitant.e.s. Or la dalle Kennedy était connues par les membres de la SDE pour le peu d’échanges inter-communautaires que les habitant.e.s y ont, en dépit de leur nombre et de la richesse de leur diversité (âges, cultures, classes sociales, opinions politiques, etc.).

Cette Journée de la Dalle fut une réussite et surtout révéla aux organisateur-ices et notamment aux futur.e.s fondateur-ices de Chahut le potentiel de transformation de ce terrain.

Objectifs initiaux

Riche de cette première expérience, même succincte, le projet des Échos de la Dalle prend forme et se lance au printemps 2016. Les objectifs sont dès alors très ambitieux : faire de la dalle Kennedy un espace de rencontres, de discussions et d’organisation collective, susciter la participation puis l’implication des habitant.e.s dans cette démarche de réappropriation de l’espace public, transmettre progressivement aux habitant.e.s des outils/modes d’organisation et les enjeux de la réappropriation de l’espace public, faire en sorte que Chahut devienne le plus vite possible une structure accompagnatrice sur des questions d’animation ou de logistique pure puis dans l’idéal que l’association devienne dispensable à la dynamique de réappropriation de l’espace public.

Pour accueillir ces objectifs initiaux, le projet s’étalait (dans un premier temps) sur 6 samedi au printemps et 6 samedi à nouveau à l’automne, chaque « Écho » étant espacé de 2 semaines. 4 samedi furent effectivement réalisés au printemps, faute de préparation et de force vive pour respectivement la 1ère et la dernière date toutes deux annulées. Du 17 septembre 2016 au 26 novembre se sont bien 6 samedi qui ont rythmé par les Échos de la Dalle à la cession d’automne.

Interaction personne / milieu

La posture générale adoptée par les membres du groupe organisationnel durant ces 10 dates en tout fut celle de « l’interaction personne / milieu ». Nous partions du principe qu’on ne connaissait pas le terrain sur lequel on intervenait. Nous étions sensibles aussi aux problématiques que posent l’intervention d’un groupe de militant.e.s associatifs-ves blanc.he.s ayant pour la grande majorité eu accès à des études supérieures, dans un quartier d’une extrême mixité qui n’est pas « le leur ».

Ainsi, aussi bien par besoin d’auto-formation que par humilité et nécessité de retenu, on a opté pour une approche plutôt discrète, sans jamais de communication en amont sur les Échos de la Dalle, avec pour seul moyen de rencontrer les gens et de faire du lien : la rue. Concrètement, nous avons essayé tout un tas de façons d’utiliser la rue : jeux en bois, porteur de parole, canapés, fauteuils et boissons chaudes, en-cas et jus de pomme fait maison à prix libre puis gratuit, émission de radio en plein air, magasin gratuit, atelier de réparation de vélo, chantier bois, atelier peinture, craie, initiation aux percussions, bibliothèque / infokiosques itinérant(e), spectacle de clown, fabrication de citrouilles et de masques, lectures de poèmes, jeux de cartes et de société. Bref, on tâtonne, on expérimente, on réajuste, on débriefe à chaud et à froid, on essaye autre chose…

À toutes les combinaisons possibles des animations mentionnées plus haut, il faut encore rajouter les imprévus et les initiatives spontanées, très riches de questionnements pour l’équipe des Échos de la Dalle : invitation d’une habitante à venir chez elle débarrasser ce qui est donnable au magasin gratuit, passage de la BAC à côté de la radio alors même que des jeunes du quartier parlaient des violences policières, vol puis retour par cadi-voyageur de notre pass-trap, trombes d’eau qui rassemble sous le kiosque…

À force de revenir encore et encore sur la dalle, en plus d’être identifié.e.s voire attendu.e.s par des habitant.e.s, nous commençons à connaître les gens qui y vivent, à reconnaître les gens qui y passent mais sans forcément que ceux-ci s’y arrêtent, à nous fabriquer des souvenirs. Cette dalle devient de plus en plus la “nôtre” aussi, et cette légitimité accrue commence à se ressentir dans les échanges.

Évolution des objectifs

Malgré une somme d’expériences dont le groupe des Échos de la Dalle est fier, force est de constater que les objectifs initiaux se sont heurtés à une réalité complexe et lente à transformer. Les objectifs initiaux apparaissent de plus en plus déconnectés du terrain, à mesure que les échos s’enchaînent. Ils prennent le rôle de « finalité » en cela qu’ils permettent de garder un horizon de transformation sociale dans le projet et des objectifs à court terme, plus atteignables, plus tangibles lorsqu’on est en animation, apparaissent : « faire de la dalle un espace convivial où il fait bon s’arrêter », « finir un jeu jusqu’au bout avec les enfants », « organiser un temps / événement fédérateur pour plus de 50 personnes à un moment dans l’après midi », « mener à terme le projet de construction de boîte en bois d’une jeune habitante ».

En précisant ainsi les objectifs, on se rend compte que certains peuvent être en tension. On identifie quelques dialectiques qui nous aide à penser la préparation des différentes journées. Par exemple, il existe une tension entre le fait d’organiser des activités, qui nécessitent un cadre spatio-temporel, un.e ou plusieurs animateurs-ices identifiés et distinct.e.s des habitant.e.s-participant.e.s et le fait d’aménager l’espace de sorte à gommer le cadre, les casquettes et à rendre l’espace réappropriable. De fil en aiguille, nous sommes confrontéEs à une autre dialectique, celle entre ouverture et intégration : si l’on mise trop sur l’ouverture, si l’on supprime le cadre, seules les personnes les plus à l’aise se réapproprieront l’espace au détriment de personnes qui trouvent plus difficilement leur place sur la dalle Kennedy. Car ouverture ne veut pas dire accessibilité. De plus cela signifierait laisser le champ libre à des rapports de dominations qu’il est aussi question de combattre en transmettant les enjeux de la réappropriation de l’espace public. De l’autre côté, si l’on mise trop sur l’intégration, si l’on balise l’espace pour qu’il soit « safe », si l’on créer un entresoi sécurisant selon une grille de lecture dominant-dominé pour aller loin avec certaines personnes, nous risquons de faire fuir une bonne partie de notre public ne se reconnaissant pas dans les codes proposés, ne souhaitant pas s’engager… A titre d’exemple, nous avons remarqué que moins le cadre des Échos de la Dalle était clairement posé, plus les hommes prenaient un place prépondérante. Ceci suscite à la fois satisfaction de par le fait que des habitants se sentent à l’aise pour déplacer les canapés, se réappoprier le matériel dédié aux Échos de la Dalle ; et à la fois interrogations du fait que la réappropriation de l’espace public ne doit pas se faire selon nous au prix d’une ré-affirmation du patriarcat.

Ces dialectiques et d’autres sans doute moins centrales ont donc rythmé et rythment encore nos temps de réflexion. Elles sont sources d’émulation, d’intégration et d’émancipation pour ses membres. Intégration par la création d’un savoir collectif et donc d’un « nous » consistant, avec son propre contenu. Émancipation par l’accès à la posture meta, qui permet aux membres d’opérer un regard critique sur elleux, leurs pratiques et leurs déterminismes. Nous aspirons à partager nos lectures de l’espace public et des enjeux de sa réapporiation, à la faire évoluer. Loin de vouloir limiter notre intervention à un travail théorique, nous mettons un peu de côté nos “beaux discours”, qui ne sont en rien des vérités ; la révolution se fera dans la rue ou ne se fera pas 🙂